Poèmes de la douleur ennoblie - Du baroque intimiste de Pergolesi au baroque flamboyant de Heinichen
Par Pierre Gerges
Plus qu'une tradition, le concert de musique sacrée organisé par la chorale St-Michel a pris valeur d'institution, honorée en l'occurrence par une affluence que la vieille église eut du mal à accueillir, honorée aussi par la présence de L.L.A.A.R.R. Stéphanie et Guillaume. Ce cadre idéal pour la déploration de l'oeuvre-culte de Pergolèse s'accorda un peu moins à la restitution du grandiose que vise la messe avec timbales et trompettes du saxon J. D. Heinichen, contemporain de J. S. Bach.
Difficile de parler de cette institution sans en nommer la cheville ouvrière Gerry Welter lequel, on l'apprit avec une certaine incrédulité, s'apprêterait à fêter le 55e anniversaire à la tête de la formation chorale de St-Michel. Mais le «Stabat Mater» réduisit d'abord au silence le choeur pour offrir ses 13 solos et duos à deux solistes luxembourgeoises, Véronique Nosbaum (soprano) et Katrin Lena Heles (alto), instrumentalement entourées par un Orchestre de chambre du Luxembourg parfaitement en phase avec la pureté vocale des chanteuses.
Les amateurs de dolorisme exacerbé, noyé dans une lenteur processionnelle, passeront leur chemin. L'option retenue ici fut au contraire celle d'une fluidité presque concertante, épurée au point, sinon de gommer, du moins de voiler les attaques ainsi que les contours de la diction. Un réflexe de pudeur fit en sorte que ce chemin de la croix ne se parcourut pas comme un office des ténèbres ni comme une souffrance exacerbée dans sa composante humaine, celle précisément d'une mère devant le tableau de la mort de son fils. A l'encontre de tout dramatisme théâtral, on n'appuya guère les frottements harmoniques, les voix se mirent au diapason de la fusion stylistique et non de l'affirmation individuelle, le drame fut en partie vidé de sa consistance émotionnelle pour l'élever dans des sphères à la fois plus abstraites et plus sublimes.
La polyphonie à la faveur d'une belle plasticité
L'Orchestre de chambre du Luxembourg engrange une bonne partie du mérite de cette soirée concertante de fort belle tenue: il a notamment porté la preuve que l'expressivité qu'on prête à la pratique baroque découle de la rigueur interprétative avant d'être le fait d'un choix instrumental. Leur effectif s'étoffera toutefois pour affronter la liesse plus extérieure, plus jubilatoire et même un rien clinquante, de cette messe de Heinichen. Un plat de résistance des plus festifs auquel ne manqua que la voix du grand orgue...
En revanche, deux solistes supplémentaires y firent leur apparition: la basse sonore à souhait de Jean-Paul Majerus et le ténor un peu mat de timbre (Christian Dietz) qui contrastèrent avec la minceur filetée des solistes féminines. Une bien goûteuse flûtiste, malléable et volubile, sortit de l'orchestre pour alléger le climat entre les développements multiples du Gloria et du Credo.
Mais c'est au choeur que revint ici la fonction d'imposer son am- pleur et sa puissance, particulièrement gratifiante lorsqu'il pouvait compter sur l'assise des cordes graves.
Les revirements par sections brusques pouvaient à l'occasion le faire chavirer comme dans le credo mais son engagement, inébranlable, nous valut un Sanctus de grande ferveur ainsi qu'un Hosanna qui, au-delà de l'incandescence globale, dessina aussi la polyphonie à la faveur d'une belle plasticité susceptible d'en creuser le relief.

